Julie, créatrice d’Alegria Studio

Images réalisées dans les rues de Setùbal et au Irukandji Espresso Bar.

J’ai rencontré Julie il y a 9 ans, lors de nos études de mode à Paris. De cette rencontre sur les bancs de l’école est née une amitié solide, et un lien constant malgré notre distance géographique. Son choix de s’expatrier dans le lieu de ses vacances d’enfance a piqué ma curiosité et j’ai souhaité en savoir plus sur sa relation avec son pays de cœur : le Portugal. Échange en compagnie des paons dans le jardin du Palácio das Necessidades, l’un de ses lieux préférés de Lisbonne.

Peux-tu me parler de ton parcours jusqu’à aujourd’hui?

J’ai grandi dans un petit hameau à côté de Pau, et j’ai toujours su que je n’y resterais pas car je sentais que c’était trop isolé pour moi. Je suis partie à Bordeaux vers 19 ans, après le bac, pour 3 ans de Bachelor en Design de Mode. Après cela, j’ai terminé mes études à Paris avec un Master en Communication à l’Atelier Chardon Savard. Après plusieurs expériences en stage et en Freelance, je suis retournée vivre à Pau pour mûrir mon projet d’installation au Portugal qui avait été mis en suspend par les confinements. Ce passage à Pau était temporaire, comme une transition. Cela fait maintenant 2 ans que je me suis installée au Portugal.

Comment ont été les débuts de cette nouvelle vie?

J’ai choisi mon quartier (Santos, à Lisbonne) en connaissant déjà mes besoins. J’étais déjà venue en séjour à Lisbonne et je souhaitais éviter l’hypercentre très touristique et festif. Je voulais du calme, et je savais déjà que mon premier logement serait une étape avant de trouver le bon endroit pour m’établir. J’ai quitté Lisbonne pour chercher un meilleur confort de vie au bout d’un an. J’ai emménagé dans une petite maison à Setùbal, une petite ville à 1h de train de la capitale. J’ai eu un coup de cœur pour cet endroit qui offrait une vie de quartier avec un petit marché situé à quelques pas de la maison. Ici les gens se connaissent, c’est plus facile de lier contact car on est pas fondu dans la masse comme à Lisbonne. La vie à Setùbal est plus typique, et m’offrait la possibilité de m’intégrer réellement avec des personnes d’ici en vivant une vie de locale.

Pourquoi as-tu choisi le Portugal? Quel était ton lien avec ce pays?

Ma famille est originaire du Portugal et enfant, j’y venais toujours en vacances, c’était notre retour au “bled” comme on dit. On séjournait dans des régions différentes à chaque fois et j’ai donc beaucoup exploré le Portugal. Avec le temps, on change : quand j’étais jeune, ces séjours ne me plaisaient pas du tout, car je devais suivre le rythme imposé par mes parents et je manquais de liberté. Ma vision sur le Portugal a changé lorsque j’ai perdu mon grand-père maternel à 16 ans. Je me suis rattachée à la maison de famille qu’avaient mes grands-parents au Portugal à Viseu, dans les terres. J’évitais de parler à l’école de mes origines portugaises car les blagues et moqueries sur des clichés m’avaient agacée. C’était une phase de l’adolescence où on s’axe plus sur nos amis et moins sur la famille, on s’en coupe un peu plus. La mort de mon grand-père a changé ça. Je suis retournée au Portugal avec un autre regard : on me disait que je ressemblais à ma grand-mère et les locaux me parlaient en portugais comme si j’avais toujours vécu là-bas. L’idée de m’installer à Lisbonne m’est vraiment venue à Paris car je trouvais le mode de vie sur place trop speed, un peu étouffant. Lisbonne me plaisait car c’était un bon équilibre ente vie citadine et esprit de vacances grâce à l’ouverture de la ville sur le fleuve Tage. J’y ai trouvé une vraie douceur de vivre et m’y suis sentie immédiatement à ma place.

Le Panthéon National de Santa Engracia se découvre depuis les toits de Lisbonne.

Comment ton souhait de t’installer sur la terre de tes ancêtres a été perçu par ta famille?

Mes proches ont ressenti mon départ pour le Portugal comme un abandon de ma famille. Mes parents ont eu beaucoup de mal avec l’idée que je m’éloigne d’eux géographiquement. Ma grand-mère maternelle, qui avait toujours gardé un lien fort avec le Portugal, était contente que je dispose de ma vie comme je l’entendais, mais ne comprenait pas que je quitte la France pour un pays que mes ancêtres avaient fui pour trouver une meilleure vie ailleurs il y a quelques générations et éviter la guerre et la pauvreté. Pour elle, il n’y avait rien à faire ici, le Portugal n’avait rien à offrir.

Selon toi, quel est le plus difficile lorsqu’on s’expatrie?

La différence de langue ne m’a pas parue très difficile car j’étais déjà familière avec le portugais, même si j’avais encore beaucoup à apprendre. Le plus difficile a peut-être été de ne connaître personne sur place. Je suis partie seule et en cas de besoin, le fait de savoir que je ne devrais compter que sur moi-même car mes proches étaient loin m’a paru moins évident. Avoir un visage connu avec qui partager un repas le dimanche par exemple, pour créer des repères, m’aurait aidée.

Le fait de t’expatrier a t’il modifié ta vision de ton pays d’origine?

L’image que j’avais de la France n’a pas vraiment changé. J’ai quitté la France car je ne me reconnaissais pas dans certaines mentalités négatives, alors que ce pays offre énormément d’opportunités à qui souhaite réussir. L’aspect envieux ou insatisfait qui peut être présent dans le mode de pensée de beaucoup de français n’est pas du tout présent ici où la réussite ne pose pas de problème, elle est plutôt célébrée et décomplexée. Chacun vit comme il le souhaite et si le voisin d’à côté a réussi, tant mieux pour lui. Cet état d’esprit correspond mieux à mes valeurs, même si le Portugal n’est pas parfait. Je n’ai pas ressenti de nostalgie de la France, même si j’y reviens régulièrement pour voir ma famille.

À quoi ressemble ton quotidien ici?

Je suis passionnée de cuisine, et j’adore faire de grandes balades à pied avec mon chien pour découvrir de nouveaux lieux. Je fais mes courses au marché quotidiennement et je fais appel à un maximum d’artisans locaux. Je travaille majoritairement depuis chez moi ou en coworking avec Stéphanie, que j’ai rencontrée à Lisbonne et avec qui je collabore sur des missions en communication pour l’Agence Base. Le week-end, je prends du temps pour appeler longuement mes proches et prendre des nouvelles.

Le Château de Saint-Georges aperçu depuis le superbe panorama offert par le Café Da Garagem à Lisbonne.

Comment définirais-tu ton métier actuel? En quoi celui-ci te passionne?

Je poursuis mon activité en communication digitale, pour des marques ou des associations. Ma collaboration avec la marque de puériculture Ergobaby est mon projet préféré, car il y a un réel aspect informatif au sujet de la parentalité, avec la rédaction d’articles pointus pour répondre aux questionnements que l’on peut avoir autour de son bébé et une volonté de la marque de communiquer de manière authentique sur la vie de parent sans tabou. Leurs produits répondent à un réel besoin, avec un autre but dans leur stratégie de communication que la simple vente d’un produit.

As-tu un projet de coeur que tu souhaiterais réaliser à l’avenir?

Je souhaiterais devenir pleinement à l’aise dans la langue portugaise pour avoir des discussions plus poussées et pouvoir m’intégrer sur place. Pour ce qui est des projets, je ne manque pas d’idées! J’ai l’idée d’ouvrir un lieu alliant ma passion pour la food et une dimension sociale qui aiderait des personnes dans le besoin ou ayant des difficultés à s’insérer sur le marché du travail. Avoir des proches concernés par ces difficultés m’a sensibilisée au sujet et leur situation me touche particulièrement. J’aimerais aussi qu’il y ait dans ce projet une idée de transmission autour de l’alimentation, en sensibilisant au bien manger, de manière locale et saine avec un jardin ludique pour les enfants par exemple. C’est un projet ambitieux, qui demande de la réflexion et un business plan solide pour voir le jour. Ma famille, qui partage mes valeurs, serait partante pour me suivre dans cette aventure. Cette idée est un réel projet de coeur qui me trotte dans la tête depuis plusieurs années et qui s’affine petit à petit.

As-tu un mantra dans la vie?

J’essaie de mettre ma pierre à l’édifice. Je n’ai pas vocation à changer le monde car je ne pense pas avoir les épaules pour cela, comparé à des militants prêts à relayer leur vie au second plan pour leur cause. Je dirais donc bien vivre, sans oublier les autres.

Un objet qui ne te quitte jamais?

La médaille de famille en or que mes grands-parents m’ont offerte, qui est un porte-bonheur que les anciens offrent aux nouveaux nés de leur famille pour symboliser leur amour et que l’on portera ensuite pendant toute notre vie. Elle n’est pas religieuse, et il est écrit dessus “amour des parents “ avec un décor floral. J’y suis très attachée et je ne m’en sépare jamais. Cette habtitude de porter son bijou préféré constamment me rappelle ma grand mère qui ne quitte jamais sa paire de boucles d’oreilles. Ces bijoux sont de véritables “extension de soi”.

Quel serait ton meilleur conseil à une personne souhaitant s’expatrier?

Je conseillerais de se faire accompagner juridiquement par un professionnel maîtrisant son sujet. L’aspect administratif est très différent d’un pays à l’autre pour le logement ou les comptes bancaires par exemple. Cela peut être assez fastidieux à gérer, il faut être très attentif et faire beaucoup de recherches sur chaque sujet. Être accompagné(e) par les bonnes personnes peut vraiment vous changer la vie.

Vue de l’Église et du quartier de Santa Luzia à Lisbonne.

Si ta ville était pour toi…
Une couleur : le jaune, pour le côté solaire et la joie de vivre : le Portugal est un pays très joyeux, impossible de déprimer ici!
Un parfum : celui des fleurs de jasmin qui éclosent dans ma rue en grimpant sur les murs.
Un son ou une musique : le cri des mouettes, je les entends constamment, j’adore car cela me fait vraiment penser au bord de mer.
Un plat : les fleurs de navet, grellos, qu’on cuisine beaucoup ici, même simplement avec de l’huile d’olive. C’est très typique et on en trouve plutôt sur les tables des anciens.
Une émotion ou un sentiment : la sérénité.
Une expression : Bem vindo, bienvenue, pour l’accueil chaleureux réservé ici à tous, tant aux touristes qu’aux personnes qui viennent s’installer.
Une personnalité : Pour moi, Lisbonne c’est le fado, un chant plutôt mélancolique, donc Amália Rodrigues, la plus célèbre. C’est la première personne à laquelle je pense quand je veux écouter de la musique d’ici.
Une saison : Le printemps, la saison la plus agréable niveau climat, et aussi plus légère du point de vue de l’affluence touristique.

Tes lieux préférés à Lisbonne?

Le Palácio das Necessidades, un petit coin sauvage au sein de la ville, très calme et étendu. Les quartiers de Prazeres et São Bento qui sont mes préférés à Lisbonne car ils sont restés préservés et plus typiques.

Le meilleur moment de l’année pour découvrir la ville?

D’avril à juin, pour profiter des lieux car il y a moins de touristes et il n’y fait pas encore très chaud.

Une recommendation pour découvrir Lisbonne hors des sentiers battus?

Les stations balnéaires comme Carcavelos, ou bien les quartiers plus éloignés du centre de Lisbonne comme Príncipe Real, Santos et Prazeres, qui permettent de découvrir le vrai Portugal sans feuille de route pour y flâner. Quitter le côté instagrammable des lieux très touristiques comme le Miradouro de Santa Luzia pour s’aventurer dans les zones fréquentées réellement par les portugais. Aller manger dans les tascas, ces petits restaurants typiques portugais qui ne paient pas de mine avec les plats du jour à l’ardoise et qui rappellent la cuisine de famille, comme à la maison.

Vous pouvez retrouver Julie Filipe sur Linkedin et sur Instagram.